jeudi 17 décembre 2015

Faire le choix de ne pas se reconnaître dans l’offre politique, c’est aussi aimer son pays - par Lucie Brasseur

Nos zèbres si vivants participent à l'aventure avec une fougue et une passion hors norme. J'accueille ici, sur mon blog, la contribution de Lucie Brasseur

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En janvier, lorsque la rédaction de Charlie a été attaquée, j’étais au Brésil, mon autre patrie. Comme des millions de Français, j’ai deux passeports et pourtant, en début d’année, j’ai fait le choix de la France.
Sincèrement, j’ai été tentée de laisser le pays partir à vau-l’eau, le FN gagner du terrain, l’inertie du système politique aidant. Mais la France est mon pays. Celui où je suis née, celui qui a sauvé la vie de ma famille, celui qui m’a offert une éducation de qualité gratuite, où j’ai pu manger à ma faim malgré les difficultés financières qu’ont rencontrées mes parents, celui où j’ai toujours été soignée admirablement. Je ne pouvais pas fuir. L’heure était arrivée de se lever et de marcher. Pour dire merci d’abord, pour préparer l’avenir ensuite.

Militer, une histoire de famille
Je suis petite fille d’exilée politique. Ma grand-mère a fui le Brésil, son pays en 1971 parce qu’un régime militaire avait pris le pouvoir, bâillonnant les libres penseurs, les intellectuels, les artistes, l’intelligence de sa nation en asseyant son pouvoir par la terreur.
Réfugiée à Paris, Annina a été accueillie par l’association France-Amérique Latine. Pendant plus d’une année, elle a alors fait le tour du monde sous la protection d’Amnesty International pour raconter les exactions et la torture qui bafouaient la terre où elle avait lutté, comme avocate de prisonniers politiques.

Nombreux de ses amis ont « disparu ». En janvier dernier, d’autres me parlaient encore de cette période, les yeux pleins de larmes. Ma mère et ma tante, enfants, ont été séparées de leur mère pendant 7 ans parce qu’Annina avait choisi de dire NON.
Au début des années 80, j’ai vu le jour alors que le régime dictatorial s’assouplissait. En cette année 1983, Annina, qui avait repris ses études pour obtenir l’équivalence de ses diplômes devenus obsolètes par l’exil, décrochait un doctorat en sociologie à Paris avant d’intégrer bientôt le CNRS comme chercheuse. La France l’avait sauvée.
Annina s’y est remariée avec Dominique. Militant au look, à la détermination et au cœur immense d’un Abbé Pierre, derrière son épaisse paire de lunettes et sa barbe blanchie, toute mon enfance, il m’a parlé de son combat de résistant pendant la seconde guerre mondiale (il était né en 1916), puis de tous ceux qui ont suivi. Avant de s’éteindre en 2012, il rédigeait encore une newsletter sur les migrations de populations en Europe. La preuve que l’engagement conserve la jeunesse. A plus de 90 ans, parce qu’il savait qu’Internet était un merveilleux outil de propagation des idées, il était plus à l’aise sur la toile que nombre de ses enfants ou de ses nombreux petits et arrières petits enfants. La loi du sang n’est pas maîtresse quand l’amour dicte la route.

Annina et Dominique ont été mes modèles d’engagement. Jamais ils n’ont arrêté de militer pour, comme l’écrivait Annina dans ses mémoires, « faire que le monde que nous laisserons à nos enfants soit plus humain que celui dans lequel nous avons grandi. »

Aujourd’hui, c’est mon tour. Car on ne peut être issu d’autant de courage et de conviction sans un jour décider qu’il est temps de se lever et de marcher. Marcher contre la montée de l’ignorance, marcher contre la montée des extrêmes, marcher contre l’ignominie, contre le tri des humains, contre l’inertie d’un monde qui pourtant se réinvente par le bas.

Mon histoire familiale a forgé en moi l’intime conviction que chacun est une part de la solution, que seules nos forces conjuguées parviendront à éclaircir le champ des possibles.

Depuis des mois j’écoutais Alexandre Jardin à chacun de ses passages dans les médias, persuadée qu’il était l’un des derniers intellectuels à mettre sa notoriété, sa capacité d’écoute, son don de la narration et sa passion au service de la cause publique. Et, un heureux hasard nous a finalement permis de nous rencontrer. Alors, nous avons ri. Simplement ri. Car l’engagement est source de joies immenses et sans limite.

Ce que je savais faire ? Faire parler, faciliter les relations entre les médias et les acteurs de terrain. Pas grand chose en somme qui ne se résume à des tableaux et des mails, mais le mouvement en avait besoin. Depuis quelques mois, je passe un temps certain à mobiliser les acteurs de terrain pour qu’ils puissent obtenir un peu d’espace sur la scène médiatique. A l’exception du temps partagé avec mes proches et des heures d’écriture, rares sont les moments où je trouve plus de grâce que lorsque je « zèbre ». Car j’ai l’impression de m’occuper de la France et de l’avenir de nos enfants. Comme avant moi, l’ont toujours fait mes grands-parents.

Voir la situation qui se dégrade, la société se paupériser, les décideurs englués dans des fonctionnements qu’ils ne parviennent plus à changer, le tout sur fond « d’à quoi bon » me donnait la nausée, m’épuisait nerveusement et physiquement. Mais, depuis qu’en début d’année j’ai fait le choix de la France, depuis que j’ai choisi de me lever pour marcher, de zébrer, apportant mes maigres compétences au mouvement, je sais ce que c’est qu’être heureux. Faire renaître l’espoir en soi, le planter parfois dans le cœur des autres, créée le bonheur et donne l’énergie nécessaire à renverser le réel.

Itinéraire d’un cheminement politique et militant personnel
En 2002, j’avais 19 ans. Pour la première fois je me rendais dans l’isoloir. Pour la première fois j’avais le droit de décider de l’orientation du pays et j’ai voté contre mes convictions. Mon premier vote, déjà, n’était pas celui de l’espoir et de l’enthousiasme mais du « tout sauf le FN ».

En 2007, on m’invitait à m’engager en politique me précisant que la création du Modem ouvrirait des portes aux femmes. Pas question de valeurs, d’idéologies, de projets publics, mais déjà d’opportunités de carrière. Très peu pour moi, merci. J’ai alors mis mon énergie dans la création d’entreprises, dans la création d’emplois, dans la réduction des inégalités scolaires puis dans la valorisation d’un territoire par ceux qu’y créent. Je me trouvais drôlement plus utile qu’à enchainer les réunions et à rayer le parquet des cabinets, jouant d’opportunités en opportunités.

Puis, en 2012, on m’invitait encore à jouer les suppléantes pour un candidat lors des élections législatives. Après m’avoir flatté – chers Jean de la Fontaine, Jean de La Bruyère, chères Lumières, vos fables et pamphlets, n’en déplaise aux grincheux, demeurent d’une incroyable actualité ! – après m’avoir raconté les belles histoires que j’avais envie d’entendre : révolution sociale, projets humains, développement économique, valorisation et encouragement des initiatives, prise en compte des démunis, des familles monoparentales, des personnes âgées… - force m’a été de constater que mon invitation relevait d’une stratégie – oserais-je ? oui : d’une stratégie électoraliste ignoble. J’avais 30 ans, j’étais une femme, plutôt avenante, engagée dans la société civile, chef d’entreprise, mobilisée auprès des réseaux de la digital économy, femme de communication et de médias. Bref, j’aurais joué les plantes vertes parfaites apportant en même temps crédibilité et charriots de voix.
J’ai abandonné le candidat au pied de l’autel de la Préfecture. Militante et engagée, il ne m’était simplement pas concevable d’échanger morale contre pouvoir.

Les Français ne sont pas dupes
Il m’est alors apparu que tant que les médecins urgentistes n’auront pas droit de cité au Ministère de la Santé, que les patrons de PME n’entreront à Bercy que lors de remises stériles de médailles, que les instituteurs de ZEP ne verront du Ministère de l’éduction que les circulaires qui remettent à chaque mandat tout leur travail en question, que les flics de banlieue ne se rendront place Beauvau que pour honorer la mémoire de l’un de leur collègue « mort pour la France », en somme tant que la société civile, celle qui vit les aberrations du système dans sa chair, n’aura pas droit au chapitre pour en réparer les fractures, on ne réglera pas les problèmes. Tant qu’on ne commencera pas par poser la question simple du « qu’avez-vous fait » aux candidats, rien ne changera.

La preuve que l’organisation du pays par des spécialistes élus ou nommés dans les cabinets ne marche pas est simple : il suffit de voir combien de milliers de doux dingues idéalistes, sans attendre que le cadre légal les y encouragent trouvent partout en France des solutions aux fractures sociales. Alimentation, Education, Protection de l’environnement, Emploi… La société civile n’est pas experte des lois, des ronds de jambes de cabinet et pourtant elle marche. Il est temps de lui rendre la parole, le pouvoir, les rênes.

Mes grands-parents sont partis et la génération de mes parents a rangé au placard ses illusions de changement, comme de doux rêves de jeunesse. Et si ma génération du « tout sauf le FN » ne peut plus y croire, la prochaine rit déjà à gorge déployée quand on lui promet que cela va changer.
Pour croire que, une fois leur solde justifiée par les urnes, les candidats aux prochains rendez-vous électoraux feront pour les Français, ils doivent avoir fait leurs preuves.
Ils doivent accepter que les Français veuillent autre chose que l’alternance de promesses sans actes. Ils doivent accepter que la société civile ait une partie de la réponse à ses problèmes. Ils doivent lui faire confiance, la laisser faire. Car de toute manière, elle a déjà commencé.

Lucie Brasseur
#anousdagir


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